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EUROPA
De la morale allemande 
 


En 2007 l'écrivain Marie NDiaye est partie vivre à Berlin, la capitale de l'Allemagne. Nicolas Sarkozy est élu président de la République française et elle affirme dans la presse, reprenant une phrase de Marguerite Duras, que la droite c'est la mort. Elle quitte donc la France. De cette affaire, on a retenu une querelle commode et inutile sur la soi-disant liberté d’expression des artistes.
Car personne n’a soulevé le vrai débat : où allait-elle ? En Allemagne, le pays d'Angela Merkel, femme de droite, dont elle dira par la suite en 2009 : « Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n'a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n'a plus  » (1).
Ces propos sont symptomatiques d’un grave malentendu culturel. Il s’agit d’une tentative (involontaire ?) de minimisation voire d’effacement de ce qu’est l'Allemagne, depuis des décennies bien plus conservatrice, néolibérale et martiale que la France.
Alors de quelle morale s’agit-il concernant Angela Merkel ?
Marie NDiaye ne parlait pas la langue et elle habite Berlin. Les Allemands et les Français, à Berlin, se parlent beaucoup anglais. Ses enfants sont au Lycée Français. Peut-être que son foyer fiscal reste la France, et qu’elle a une carte européenne d’Assurance Maladie ? Car en définitive, au-delà de cette problématique de privilégiés que nous sommes, les Français connaissent bien mal ou bien peu, l’Allemagne.

L’objectif est ici de déconstruire une hypocrisie incompatible avec des valeurs humanistes et d’insister sur les différences allemandes, à commencer par l’urgence de prendre en compte la réalité d’une mentalité et d’une culture spécifiques, contre les amalgames.
Si les Allemands dominent l’Europe aujourd’hui, il faut être conscient que leur projet de société n’a rien à voir avec le projet social et humain, de progrès, d’une grande communauté européenne. Le protestantisme germanique, bien plus une politique qu’une religion, n’est pas une vision du monde communautaire au sens de collectif et de bien public. L’individualisme est la perspective, ainsi que la réussite personnelle et le capitalisme comme référence à la valeur exemplaire qu’est le travail. De même, l’importance du chez-soi, le fameux Heimat, prime sur une vision globale de la société. Après la seconde Guerre mondiale, les Allemands n'ont pas été brimés par les Alliés et la Dénazification-fiction figurait dans les manuels scolaires à l'usage des nouvelles générations. On ne peut parler de revanche d'un peuple opprimé. Il faut aujourd'hui admettre, sans humour aucun, la volonté totale de domination culturelle, offensive sur les mentalités des autres populations, des Allemands.

 

Derrière Berlin

La capitale est protégée par l’anonymat et le tourisme, comme toute métropole, mais surtout, Berlin est composée de plusieurs ghettos assemblés les uns contre les autres et chaque quartier a sa fonction. On ne se mélange pas, sauf parfois dans des fêtes pour vacanciers ou artistes décontractés et cosmopolites – d’un même pôle. C’est de là pourtant que décide un gouvernement qui n’a de cesse de transformer la ville à son image, sur le mode des centres commerciaux à l’américaine ou à la mode prussienne.
Pour ne citer qu’un exemple éloquent, le futur château baroque Berliner Schloss – Humboldtforum dont le chantier remplace le Palast der Republik de l’ancienne RDA, détruit en 2008. Le Président allemand Joachim Gauck, ancien pasteur luthérien, a posé l’été dernier la première pierre, festivité suivie d’un concert de gong javanais. Le prince et la princesse von Preussen étaient fin 2013 invités à apprécier les nouvelles techniques d’édification d’un château reconstruit à l’identique de celui des princes du 15ème siècle. Parallèlement, le Humboldtforum devrait rendre hommage à la diversité des cultures du monde et une exposition itinérante sur le projet vient d’avoir  lieu à Istanbul et Ankara, avec pour titre : "Quel château ! – Le Berliner Humboldtforum". Pourquoi l’Allemagne a-t-elle besoin de reconstruire son passé impérial ?
En réalité, il n’y a guère plus que les fêtes, les bars fumeurs et les marchés aux puces qui restent un cliché, vrai, de Berlin surfait. La vie dans la ville, hors districts comptant des populations pauvres et ou immigrées, est maintenant aussi chère qu’à Hambourg.
Les représentants des partis au pouvoir CDU-CSU sont moins bling-bling qu’une partie de ceux de la droite française mais leur efficience agit en profondeur. Ils sont austères et lourds comme la ville, moins en vogue comme disent les Allemands mais l’Europe est en marche, grâce à l’héritage moral et mental de la monarchie prussienne. L’importance du protestantisme imprègne un pays où il n’existe pas de séparation entre le christianisme  et l’Etat. Il faut payer pour «  quitter  » l’Eglise catholique ou protestante et ne plus s’acquitter de l’impôt obligatoire qui va avec.
Peut-être que Marie NDiaye insinuait également à travers la morale de la chancelière la bien-pensance allemande ?
Il est pourtant intolérable qu’Angela Merkel se permette de décider si oui ou non et où il est décent d’organiser des commémorations du 8 mai 1945 comme elle l'a fait avec la Russie.


Qui s’offusque des plaisanteries anti-grecs qui étaient monnaie courante il y a un an, deux ans, sur les radios les plus écoutées comme NDR ? Qui parle sérieusement des unes populistes et méprisantes du Bild Zeitung, quotidien numéro un, tandis que beaucoup rient la France et son Front national, qui sert déjà à Wolfgang Schäuble afin de sermonner la France en train de devenir néo-fasciste ? Il n’y a pas de deuxième degré d’humour lorsque le journal en appelle au peuple allemand qui paie trop pour des populations européennes paresseuses et mafieuses ni de troisième quand le ministre des Finances nie l’équation austérité et montée des populismes nationalistes, alors que nous savons que le Front national n’entravera pas le fonctionnement du Parlement européen, au contraire.
La population allemande débourse, mais contrairement aux Français, ne s’en plaint pas. Elle approuve un système où l’employé paie plus de taxes que l’employeur, où les caisses d’assurance maladie privées ou dites d’Etat sont richissimes. Se demander ce qu’elles font de l’argent des assurés est une question désuète. Cotisations exorbitantes, médecine à double vitesse. Tout le système social réformé à l’américaine par les sociaux-démocrates et les Verts en 1998 et poursuivi par la Chancelière a le soutien de ses habitants, bercés par une presse populiste acharnée qui vante constamment les mérites de la Nation.
Pourtant, c’est un pays qui s’appauvrit, ce qui est largement occulté. Le journal Der Spiegel et le DIW, Institut Allemand de recherche économique le titrent : dans toute la Zone Euro, c’est en Allemagne que l’écart entre les riches et les pauvres est le plus grand (2). C’est ici que le partage des biens est le plus inégalitaire, pas en Grèce, pas en Italie, pas encore en France.

Il existe des voix critiques qui questionnent le modèle économique allemand, le Sonderweg (chemin exceptionnel plutôt que voie spécifique), des oppositions, des détracteurs qui se manifestent.
De la tribune « Sauvons le peuple grec de ses sauveurs  » signalant la Grèce comme le laboratoire d’un changement social qui, dans un deuxième temps, se généraliserait à toute l’Europe aux analyses de l’économiste Bruno Amable qui a su en amont informer sur «  la ruse des gouvernants  » (3) ou les décryptages de Frédéric Lordon (4). Elles appellent à la vigilance : Il est urgent de mener la bataille des chiffres et la guerre des mots pour contrer la rhétorique ultralibérale de la peur et de la désinformation. Il est urgent de déconstruire les leçons de morale qui occultent le processus réel à l’œuvre dans la société (5). Néanmoins, il subsiste une peur de nommer les choses telles qu’elles sont lorsqu’on les vit de l’intérieur et qui ne sont pas qu’économiques : il n’y a pas un système, il y a des individus qui font fonctionner un système très loin d’être chaotique.
Comment penser que la croyance indéfectible en la valeur conservatrice germanique, au projet politique, culturel et religieux partagé par l’immense majorité des Allemands, leur mode de vie, puissent aussi s’appliquer au reste de l’Europe ? C’est pourtant ce que dicte désormais la morale Allemande et ce que les Français prennent à la légère.
Il n’y a pas de problème moral à s’enrichir sur le dos des autres, aucun à retourner les situations : Anton Börner, Président du BGA (Fédération nationale pour le commerce, les échanges extérieurs, les services) vient d’être très clair, il veut plus d’offensive allemande en Europe, surtout en France, un pays décadent mené par l’Etat et un système social rigide (6).
Il reprend à son compte la mascarade du vote Front national, analysant le résultat comme un ras-le-bol du peuple français après en avoir fait patiemment le lit et en en déformant les causes. Il est évident que le Parlement européen, avec Jean-Claude Juncker en tête, se servira avec méthode et tout en le déplorant, des voix populistes afin d’affirmer une direction unanimement conservatrice.
Le cercle se referme, autour des frontières européennes.

Nos pauvres vivent bien et ils ont du travail


Comme aux Etats-Unis et de plus en plus en France, les Allemands sont très nombreux à travailler à mi-temps, à accepter des situations précaires et ils sont passés maîtres dans l’art d’être Aufstocker : ils savent cumuler les forces de travail. Ils ont plusieurs Mini-Jobs ou un seul (pas plus de 450 Euro par mois) et peuvent toucher une aide de l’Etat, l’ALG II des réformes Hartz, du nom de l’ancien manager de Volkswagen appelé par les Verts et le SPD.
Ces personnes n’entrent pas dans les statistiques du chômage mais doivent envoyer tous les trois mois leurs relevés bancaires complets au Jobcenter. Le but est depuis longtemps d’exiger la transparence totale au sein des populations pauvres grandissantes et les forcer à signer l’Eingliederungsvereinbarung : accepter un travail proposé et rester incorporé dans la catégorie sociale que le système a bien voulu leur trouver. La soumission est exigée en échange d’une aide de l’Etat. Il n’est pas autorisé de posséder au-dessus d’un certain seuil et les biens personnels ne servent qu’à subsister. Les individus sont classés. Actuellement, le gouvernement allemand réfléchit à une loi qui permettrait d’empêcher aux Hartz IV Empfänger, aux assistés sociaux, de faire de l’argent avec internet, par exemple avec eBay. Bientôt, il faudra travailler pour 0 Euro de l’heure si l’on doit rester dans ce système équivalent au RSA.
Concernant l’entrée en vigueur du dispositif d’un salaire minimum en Allemagne dont les chômeurs de longue durée et les jeunes en formation sont exclus pendant les premiers six mois, il faut attendre fin 2016.
Parallèlement, le projet SEPA   qui vise à construire l’Europe des paiements électroniques facilitera la standardisation de la surveillance des flux et le contrôle de la fraude et du blanchiment. Cette traçabilité financière a-t’elle été pensée pour surveiller les citoyens qui n’ont pas les moyens de se payer des comptes en Andorre, en Suisse ou autres paradis financiers et ou fiscaux ?   Pour savoir qui a le devoir de payer des impôts et qui peut s’en passer ? La vie de ceux qui ne produisent ou ne consomment pas assez au regard des stratégies de maximisation du profit, ne doit plus être préservée (5). En novembre 2013, François Hollande a rencontré Peter Hartz «  en secret  » à Paris.
Une disposition culturelle n’étant jamais anecdotique, il faut rappeler quelques réalités éclairantes. L’obligation de payer la redevance audiovisuelle, le Rundfunkbeitrag même si l’on ne veut pas de télévision.  Les aveugles et les sourds doivent s’acquitter de la moitié de la taxe tandis que les chômeurs peuvent continuer de regarder «  gratuitement  ». Le scandale de l’huile de palme étouffé par l’industrie biologique allemande car tout est d’abord une machine qui marche ou celui du ramassage des bouteilles consignées. L’Allemagne est la terre du green washing où les Mercedes et BMW filent à toute allure. Idem pour l’atome, mais les Allemands préfèrent construire leurs nouvelles centrales nucléaires au Brésil.
Néanmoins la caractéristique la plus marquante reste la définition de l’humour ou le goût de la polémique, bien souvent empêchés, qui continue de se transmettre. Les leaders allemands n’hésitent pourtant pas à afficher un dédain détaché concernant la chose sociale dont devraient s’inspirer les notables français. Ils adorent critiquer le système élitiste des Grandes Ecoles à la française (en Allemagne la séparation des élèves dans un système scolaire à trois voies selon leur fonction future se fait cependant dès 10 ans) et rappeler également que leurs pauvres vivent bien (7), et plus proprement que ceux des pays du Sud.

Car il y a une chose que la morale d’Angela Merkel a bien comprise :
Les Allemands descendent dans la rue pour deux causes : l’énergie atomique hors de leurs frontières et le football.
D’ailleurs les fonctionnaires allemands n’ont pas le droit de grève.

Une volonté de domination


Pour continuer sur la déontologie politique allemande, et repousser loin la schizophrénie, il faut reparler du complexe allemand, vivace et fondamental. Adolescente, j’apprends la Dénazification au Collège Louise Michel à Paris. J’ai compris dans la vie qu’elle n’avait pas eue lieu. On a fermé les yeux sur cette erreur radicale de ne pas avoir chassé les nazis de manière conséquente après la guerre. Aujourd’hui les médias allemands se moquent allégrement de l’Opération Dernière chance du Centre Simon-Wiesenthal et les jeunes Allemands sont indifférents, quand ils ne sont pas néonazis. Les manifestations pour le Souvenir ont lieu une fois par an, comme le Carnaval, mais motivées par des personnes âgées, et les communautés juives sont marquées du sceau du folklore pour pouvoir exister.
En 1990-91, je passe un an dans une petite ville de l’ouest de l’Allemagne et je vis comme les adolescents de mon âge : marquée par la Reeducation de l’Ouest qui appellent l’Est «la Zone». La Guerre Froide a depuis longtemps fait capoter toute dénazification et les anciens nazis, encartés ou non car c’était un privilège de l’être, à l’Ouest mais moins à l’Est -depuis 1991 sorte de ZUS de l’Allemagne, ont réintégré progressivement leurs postes, parfois sous d’autres noms - de familles, de fonctions, et sous l’œil bienveillant de Konrad Adenauer.
Les Allemands n’ont pas eu besoin de montrer leurs Persilschein,  papier officiel neutralisant le passé et ils ont les mains propres. On peut dissimuler douze années de nazisme mais pas l’effacer. Les Allemands le savent et la stratégie doit être autre, quelques exemples pour l’Exemple, des initiatives privées et très peu publiques, du rabâchage télévisuel et du silence.
Quand mon compagnon a voulu jeter l’exemplaire de Mein Kampf de son père car il était interdit d’en avoir en sa possession, c’est moi qui l’ait gardé. Mais personne n’était membre du NSDAP, un peu comme Ulysse avec le Cyclope, vous vous rappelez ? Il semblerait aussi que l’Allemagne a œuvré sans ses habitants. Personne ne parle des associations d’entraide d’anciens SS, SA ou autres, très actives dans la société d’après-guerre jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pas l’école française ou allemande qui me l’a appris, mais leurs propres fils, ici, peu à peu, qui l’ont fait.
Ces fils qui pensent que c’est fini maintenant, que l’Allemagne peut bien participer davantage aux conflits armés dans le monde, comme le préconise Angela Merkel, puisque qu’elle est une puissance mondiale à ne pas négliger. Ce ne serait pas juste, à l’heure actuelle et après ce qu’elle a fait pour l’Europe.

Cet esprit est présent dans le discours de Joaquim Gauck lors de la commémoration du massacre d’Oradour-sur-Glane le 4 septembre 2013, il inquiète étrangement lorsqu’il remercie les Français de venir au-devant des Allemands.
«Je voudrais tous vous remercier au nom des Allemands de venir au-devant de nous avec cette volonté de réconciliation. Je ne l'oublierai jamais.» Les Allemands devraient venir au-devant des autres populations lorsqu’il s’agit de la seconde Guerre mondiale. «Si je regarde dans les yeux ceux qui portent l'empreinte de ce crime, je partage votre amertume par rapport au fait que des assassins n'ont pas eu à rendre de comptes ; votre amertume est la mienne, je l'emporte avec moi en Allemagne et je ne resterai pas muet. Aujourd'hui, l'Allemagne est un pays qui veut construire l'Europe, mais ne veut pas la dominer.»
Ils n’ont pas (eu) de compte à rendre. Ils attendent qu’ils meurent. Et ne parlent pas.
La dernière phrase du Président Allemand est alarmante, car quand on ne domine pas, on n’a pas besoin de justifier qu’on ne veut pas dominer. L’Allemagne, dans sa générosité et sa droiture veut construire l’Europe.
On assiste depuis quelques années à une opération de communication sur la réhabilitation de la puissance allemande, pour ceux qui en auraient douté, principalement à travers deux angles d’attaque : le droit de dire enfin qu’on est fier de son pays et le nivellement habile et constant de certains faits historiques.
Les Allemands (aussi) ont souffert (des bombardements alliés). Bien sûr certains le disent plus subtilement qu’un Werner Herzog quand il parle de son amour pour sa patrie, devant les paysages de sa Bavière natale et admirée, marchant entre les sapins. Ce qui est formidable, c’est que les urbanistes pendant la Seconde guerre mondiale souhaitaient les bombardements alliés, la destruction des quartiers populaires de Dresden et autres grandes villes.
Dans un texte pour le magazine d’art contemporain Frog, j’écrivais sur les regards des jeunes artistes institutionnels en Allemagne que l’on imagine volontiers apolitiques (8). Au contraire, la plupart réhabilitent l’idée de la grande identité allemande. Cela peut s’étendre à « l’intelligentsia ». Le dernier film en date dans les cercles artistiques à démontrer cette obsession nationale, Finsterworld (2013) de Frauke Finsterwalder (elle vit en Afrique de l’Est et à Florence avec son mari suisse Christian Kracht) montre le paradoxe et l’invraisemblance d’un retour à l’innocence voulu par Allemands. L’année dernière, le film en trois parties sur la chaîne ZDF Unsere Mütter, unsere Väter  (Nos mères, nos pères) a fait sensation dans la presse et dans les familles. Il est regardé comme étant « la dernière chance de raconter la Seconde Guerre mondiale entre trois générations ». La guerre est terrible. Nie wieder Krieg. Mais le nazi, le vrai, l’homme cruel, ne s’exile pas en Argentine comme dans Amen de Costa Gavras. Il se fait tuer ou il se suicide. Il n’est plus de ce monde, tout va bien. Plus ancien et confidentiel, intellectuel et révélateur, W. G. Sebald, dans Luftkrieg und Literatur (Littérature et guerre aérienne) de 1997 exprime toute cette tentation allemande de la guerre et de la destruction, qui oscille toujours et encore entre triomphe et attirance-répulsion. Mais aujourd’hui, la plupart des Allemands sont tout simplement satisfaits de leurs technologies militaires et civiles, inséparables. Une autre Allemagne, nous a dit Joaquim Gauck à Oradour.


Populaire et très majoritaire, le communisme et le nazisme se valent au bout du compte pour beaucoup de publicistes et journalistes. La chaîne de télévision Arte parle de Konrad Adenauer comme d’un résistant passif. Guido Knopp, homme de l’audiovisuel et spécialiste du fascisme, a élevé la deuxième et troisième génération et donné le ton pour les suivantes. Auteur, producteur de documentaires historiques récréatifs mêlant archives et scènes jouées, il a inventé le concept d’histotainment. Son principe est de faire pleurer et de créer l’identification du spectateur à des « héros » en focalisant sur les destins personnels. Il relativise : on lui reproche son apolitisme. Guido Knopp n’a jamais parlé du «  génocide par balles  » et des groupes mobiles d’intervention dans ses séries documentaires. Il a co-crée l’Association Unsere Geschichte. Das Gedächtnis der Nation e.V. (Notre Histoire. La  Mémoire de la Nation) (9) dont le parrain est le Président allemand et financée par des sponsors illustres. Le déclic pour les fondateurs a été la Fondation de la Shoah et la documentation sur les témoignages des survivants de l’Holocauste. Les contributions des habitants sont recueillies par un bus qui voyage dans toute l’Allemagne et via You Tube.  Les simplificateurs avancent dans la lumière. Apolitique, extrême degré de cynisme  ? Cette mise en équivalence participe à une stratégie de retournement qui s’appuie sur le désir de revanche, d’être à égalité avec la souffrance des enfants, des hommes et des femmes qui ont été exterminés par les Allemands. La « Mémoire d’une Nation » est une opération de blanchiment historique et toute recherche nationaliste, aussi trendy ou berlinoise qu’elle soit, est empoisonnée.
Das Unheimliche pour reprendre le mot de Freud est encore ce centre, la Bundesstiftung Flucht, Vertreibung, Versöhnung (Fondation fédérale Fuite, expulsion, réconciliation) qui doit voir le jour à Berlin, lorsqu’ils seront tous morts. L’objectif du musée et de la bibliothèque est «  d’œuvrer pour la réconciliation et la compréhension  », de réfléchir et de se souvenir des politiques d’expulsion et de déportation des populations, d’abord allemandes (10), liées aux grands conflits du siècle dernier. Des focus sur les destins personnels et notamment la question Was ist Heimat? (interrogation sur le concept de patrie) en est le parti-pris. En attendant, des vieux inquiets préviennent : c’est pour la Réconciliation des Allemands avec eux-mêmes. A noter que l’Eglise protestante et catholique désigne des membres du Conseil de fondation bien qu’elles aient joué un rôle néfaste dans les conflits du 20ème siècle, et que des représentants des Roms ne sont pas invités.

De très nombreuses expériences quotidiennes et symptomatiques corroborent cette volonté de domination allemande qui va bien au-delà du concept déjà déroutant de la Wiedergutmachung (la réparation en refaisant le bien dans un esprit de réconciliation) et ne s’exprime pas dans un changement ou une rupture mais bien dans une continuation. C’est cet angle de vue qui est défendu par les pouvoirs publics.
Dans le supplément bilingue du Zeit Magazin en partenariat avec M, le magazine du Monde de novembre 2013, Harald Martenstein descend les français dans son éditorial comme personne en France n’oserait le faire, ce qui serait louable si l’on occultait sa propagande nationaliste. «  L’Allemagne d’aujourd’hui reflète les idées des Allemands francophiles (pratiquement tous les Allemands) sur la France, un pays assez libertin, avec une bureaucratie permissive et désorientée, des hiérarchies que personne n’accepte, un quotidien souvent chaotique, des chansonniers et des communistes, beaucoup de vin rouge partout. Chez nous, tout le monde parle français. La France, par contre, est devenue comme l’ancienne Allemagne  : plus traditionnelle, plus rigide, fière d’elle-même et rapidement fâchée, tout est réglementé, et personne ne parle la langue des voisins. ». Rédacteur au Tagesspiegel, il habite probablement à Berlin, à Kreuzberg la belle et rebelle ou à Friedrichshain, galerie d’art en plein air.
Pourtant l’immense majorité des Allemands a définitivement oublié que l'Armée Rouge a libéré Auschwitz.
Dans le même journal figure un entretien avec Beate et Serge Klarsfeld où l’intervieweur lui demande si elle a souvent eu très peur dans sa vie. Elle répond : «  Je n’ai jamais vraiment eu peur pour ma vie. Pendant l’occupation nazie, les résistants se faisaient décapiter. Comparé à cette situation, quel drame aurait pu m’arriver ?  » Sachant qu’elle était en Allemagne pendant la Guerre, on ne comprend pas de quels résistants ni de quelle occupation elle veut parler. Dans la version allemande elle parle de Widerständler in der Nazizeit, Nazizeit a donc été traduit par l’occupation nazie au lieu du temps du nazisme. Dans ce contexte précis avec les Klarsfeld, la stratégie de communication de l’atténuation a un goût amer. Le temps du nazisme en Allemagne n’a jamais été une occupation nazie de la population. Le travail de Guido Knopp et les thèses d’historiens de Joachim C. Fest décrivent les dirigeants nazis comme des psychopathes sous-entendant que les Allemands ont été séduits ou enlevés comme des Sabines. Sans doute la recherche de la vérité est entre les deux, entre Norman Finkelstein et Daniel Goldhagen. Ian Kershaw, Hannah Arendt et Norbert Frei sont également incontournables (11). Mais vivre en Allemagne aujourd’hui montre combien les gens, oui, les gens, ont adhéré à cette vision du monde et combien elle était là, à chaque coin de rue, en fonction, prête à ressurgir, clinique comme ses habitants.

Que ce soit le faux débat sur Heidegger et à ce titre il faut relire le texte de Jean-Pierre Faye sur le nazisme des intellectuels (12), qu’il s’agisse des livres de Thilo Sarrazin comme Deutschland schafft sich ab (13) ou celui tout récent de l’ami turc Akif Pirinçci, Deutschland von Sinnen (14), la nouvelle droite n’en finit pas d’être nouvelle, tantôt clairement réactionnaire, tantôt maquillée sobrement, presque conceptuelle…
Il y a une Allemagne-Nation re-dressée par la chancelière. Les Allemands en sont fiers et ils sont très nationalistes. Il faut se demander si cette condescendance n’a pas toujours été là, et si nous n’avons pas mal compris. Il faut ressortir les ouvrages d’Edmond Vermeil, notamment Les Alliés et la Rééducation des Allemands datant de 1947. Rien de ce que préconisait ce spécialiste de l’Allemagne à la fin de son rapport n’a été mis en œuvre. Ni la dénazification -ou dégermanisation-, ni l’allègement de la tutelle confessionnelle dans la société, ni l’évitement d’  «une industrialisation excessive, provoquant à nouveau le déséquilibre entre l’Allemagne et la périphérie européenne». Ce qui n’a pas changé, c’est la formidable habilitation de la population à l’obéissance qu’il avait déjà souligné.
Bientôt, ils seront tous morts. Un jour pas si lointain, on entendra qu’il faut savoir oublier. Cela n’a rien à voir avec l’importance de la recherche historique qui doit être inlassablement menée : sera taxé de marginal celui qui refuse de comprendre, pour reprendre les mots de Claude Lanzmann.
Il n’y a pas une autre Allemagne. Il y a une autre époque et nous sommes les produits de nos parents.

L’Union Européenne, un programme américain dirigé par l’Allemagne ou l’inverse 

Les Allemands refont la guerre, avec la fierté d’une grande nation, qui veut avoir son mot à dire et utiliser enfin sa puissance militaire sans avoir à baisser la tête car l’Allemagne est la troisième puissance mondiale en production d’armement, la troisième puissance mondiale en terme d’importation et exportation d’armement (15), et numéro un des ventes de sous-marins en Occident, ceux qui interviennent pour aspirer les informations contenues dans les câbles à fibres optiques, par exemple. Il est  toujours intéressant de savoir quel pays achète des armes, c’est aussi intéressant de savoir qui les fabrique.
Il est insupportable que l’Armée Allemande soit une armée d’intervention et non plus de défense, et ce depuis la Coalition rouge-verte (les Verts et le SPD) de 1998 et les Guerres de Yougoslavie. 70 ans après, on donne sa bénédiction à une machine de guerre, mais 70 ans, c’est la vie d’un homme, c’était hier.
Lorsqu’Angela Merkel s'offusque de la mise sur écoute de son portable par la NSA, et que la presse vante l'activisme des hackers berlinois, c'est pour dissimuler les actions d'Africom où sont coordonnés depuis Stuttgart les drones des guerres américaines pour la liberté (16). « Sans l’Allemagne l’ensemble du projet de guerre des drones américains ne serait pas possible. » affirme l’ancien pilote Brandon Bryant dans le journal Suddeutsche Zeitung (17). On parle peu de ces croisades communes. Le modèle allemand  est le modèle américain. On le remarque une fois encore avec la crise ukrainienne actuelle, dont la campagne ne sert que l’obtention du pouvoir mondial et du monopole de l’énergie. Exactement là se situe la politique de Barack Obama et d’Angela Merkel, avec au centre l’offensive de l’information.
Il faut revoir le film hollywoodien La vie des Autres (2006) de Florian Henckel von Donnersmarck sur la Stasi en RDA. Si les Allemands sont experts en rapprochements douteux, pourquoi les Européens sont-ils tellement indifférents aux méthodes totalitaires de la CIA et de la NSA, sans parler du prochain Traité transatlantique ?
Sur la guerre économique, on sait beaucoup, par exemple qu’après les Etats-Unis, c’est l’Union Européenne qui possède la plus grande puissance militaire au monde. On oublie la guerre culturelle, dont l’arme psychologique est la communication et plus Angela Merkel est arrogante, plus cela passe inaperçu.
A  Athènes, lors de sa conférence de presse du 11 avril dernier, elle se félicite du bon chemin emprunté par la Grèce et réaffirme que « cela valait la peine de faire ces réformes ces dernières années ». Elle exprime clairement comment elle souhaite exploiter le pays dans les prochaines années, grâce aux secteurs du tourisme, de l'agriculture ou des services : « Je suis consciente qu'il y a de nombreuses opportunités de développement dans ce pays ».  
Alors, Antonis Samaras remercie « le peuple allemand pour sa solidarité » et convient qu'il faut « achever les réformes et poursuivre les efforts » (18). Un jour, la France la remerciera aussi, peut-être, de bien vouloir détruire pour construire et de bien vouloir avoir l’amabilité de rester encore un peu sous la tonnelle fraîche du Sud.

KKK (Kinder, Küche, Kirche, les enfants, la cuisine et l’église)

Les filles de l’Allemagne, ce sont les mères.
Femme chancelière protestante sans enfants, ministre de la défense mère de sept enfants, parfaite couverture pour une femme qui réorganise une Allemagne militariste, nous savons combien l'exception confirme la règle. Dans la langue allemande, il y a très peu d'exceptions. La règle, les femmes ne font guère d’enfants.
A des postes clés, il y a deux femmes ingénieurs à Airbus Hambourg. J’ai eu la chance de travailler avec l’une d’entre elles, numéro deux après le Head of Engineering. Son bureau est tapissé des dessins de princesses de ses enfants. Cette femme qui se bat pour la reconnaissance de son intelligence doit se justifier constamment. Elle a la carrière et les enfants.
J’avais cru que l’Allemagne était un pays ouvert à une certaine forme de féminisme, d’abord parce que généralement, il est très paisible pour une femme de se promener dans les rues. J’avais confondu Deutsche Innerlichkeit qui prône la sphère privée (la maison, par extension Heimat), Recht und Ordnung qui garantit l’ordre des choses et ses normes, importance de l’esprit Biedermeier et respect des femmes.
Puis j’avais confondu hippies germaniques tendance Lebensreform et recherche d’égalité.
Heureusement, l’expérience de la maternité à la fois en France et en Allemagne avertit. Les protecteurs d’une Nature allemande se sont avérés essentialistes et protofascistes, tels des gourous ésotériques ou anthroposophiques. On peut choisir de sous-estimer la réalité ou considérer ces choix culturels comme des détails. On apprend aux femmes qu’il est normal de souffrir lors d’un accouchement et que c’est mieux pour l’enfant. On force psychologiquement les mères à allaiter. Dans une famille aisée, il est impensable de mettre son bébé à la crèche avant qu’il ne sache marcher. La mère doit s’occuper de son enfant jusqu’à ses trois ans. Quelques heures de garde par semaine, le matin, est bien vu pour que la femme puisse s’occuper d’elle.
Si les deux parents sont obligés de travailler avec un enfant en bas âge, ce sont des pauvres. Pour eux il existe des crèches ouvertes tard dans l’après-midi.

Le partage conservateur des rôles est voulu par la plupart des couples allemands, bien plus encore que dans les années 1990. Ce n’est pas Angela Merkel qui voudra le contraire : l’Allemagne est une puissance d’hommes spécialistes tandis que leurs femmes s’adonnent au foyer (19). On peut les comprendre, la différence de salaire entre femmes et hommes s’élève à 23 %, le taux le pire dans toute l’Europe après l’Estonie (20). Au niveau mondial dans les pays industrialisés, il y a aux Emirats Arabes Unis plus de femmes à de hauts postes qu’en l’Allemagne, qui est en dernière position.

La question des femmes est immense en Allemagne. Mais pas de temps à perdre avec un débat passionné sur les problématiques de genre. La «  théorie  » du genre a été définitivement enterrée avec la mise en examen d’Alice Schwarzer pour détournement d’impôts. C’est bleu pour les garçons, rose pour les filles et neutre pour les hermaphrodites.

 

Qui a peur d’Angela Merkel et des Allemands à ce point ?

Lors du Référendum sur le Traité de Maastricht en 1992 il existait une volonté forte de construire une Europe sociale et également la crainte du «  spectre  » de la Grande Allemagne. En 2014, le ravissement de l'Europe par l'Allemagne est entériné et sa mise au pas en marche. Les Allemands sont fiers de dominer l’Europe et ils se fichent de l’utilisation de la pauvreté de leurs voisins. Il ne s’agit pas que d’austérité, c’est un projet culturel profond.
Le modèle allemand, ce n’est pas seulement devoir traverser la rue uniquement quand les feux l’autorisent, alors qu’il n’y a pas de voiture à l’horizon. C’est toute une population qui a intégré un réflexe sécuritaire et s’y sent bien, où chacun à sa place, prévue, délimitée et référencée. Où l’écart n’en a pas.
Il est saisissant que l’on n’ose parler sérieusement de mentalités culturelles parce que Marie NDiaye avait raison : il existe une morale allemande et elle refuse les différences possibles.

J’aimais l’Allemagne avant de la connaître. Par besoin de calme. Par idéalisme et naïveté. En 2006, je suis allée vivre en Allemagne, j'ai fait une fille avec un Allemand de souche et nous l'avons prénommée Europa. Je voulais mélanger notre sang, dans un pays où il est inscrit aux codes de la Staatbürgerschaft, qui n’accepte fondamentalement pas la double nationalité aux Non-Européens.
Il n'est pas trop tard pour prendre au sérieux une nation où un eurasien, un noir, un arabe ne peut pas se promener seul où et quand il veut dans les rues de Leipzig sans respecter les no-go-areas. Des citoyens blancs Allemands partent car ils n’en peuvent plus de vivre au sein d’une mafia néo-nazie établie.
Les démons de l’Allemagne actuelle sont peu relatés dans la presse, sous prétexte que le NPD (parti d’extrême droite) a fait 1% dernièrement, qu’Arte existe et qu’un monument à la mémoire des victimes du nazisme est construit à Berlin.
En 2013, Philipp Rösler, l’enfant adopté de l’Allemagne et ex-ministre de l’Economie, clame : 
« L’Allemagne, c’est le pays le plus cool du monde ». Pourquoi les Européens se laissent-ils hypnotiser par le miroir déformant tendu par un gouvernement et un pays à qui le crime profite encore ?

Aurore ou crépuscule européen, ne nous indignons plus, agissons contre les nationalismes, pour l’égalité sociale et contre les confusions de voyageurs. Faisons un peu d’Abbau : il faut arrêter de tolérer l’arrogance allemande.
A l’exception peut-être de l’humoriste Dieudonné M'bala M'bala, il faut conseiller l’installation en Allemagne aux français qui prônent le Bien-fondé du travail, famille, patrie. Ils seront encore accueillis à bras ouverts et considérés comme des étrangers à part et charmants, les Allemands cultivés apprennent toujours le français, cela sert autour d’un verre de vin et les référendums populaires ne sont pas à l’ordre du jour.
Comme dit Etienne Balibar poliment, il y aura pour longtemps une « question allemande » en Europe (21). Car la réalité est là, le fond de la morale, il manque à l'Allemagne ce que Marie NDiaye ne peut trouver, même à Berlin, pas même du « métissage tronqué », à savoir le métissage tout court.

 À Airbus Defence & Space, Hambourg,

© Marie Rotkopf.

 

(1) « Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : «  La droite, c’est la mort  ». Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible. Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n’a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n’a plus ».
Marie NDiaye in Les Inrockuptibles, 18 août 2009


(2)http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/vermoegen-in-deutschland-ungleicher-verteilt-als-im-rest-der-eurozone-a-955701.html

(3)http://www.jourdan.ens.fr/~amable/03-13.pdf / http://jourdan.ens.fr/~amable/01-12.pdf

(4) http://blog.mondediplo.net/2013-06-18-De-la-domination-allemande-ce-qu-elle-est-et-ce

(5) http://www.liberation.fr/monde/2012/02/21/sauvons-le-peuple-grec-de-ses-sauveurs_797442

(6) http://www.welt.de/wirtschaft/article129293891/Wir-Deutschen-muessen-uns-einmischen.html

(7) http://www.monde-diplomatique.fr/2013/09/CYRAN/49632

(8) In 60 Jahre, 60 Werke, p.91, Frog n°9

(9) http://www.gedaechtnis-der-nation.de/informieren/verein  

(10) http://www.sfvv.de/de/stiftung

(11) Eckart Conze, Norbert Frei, Peter Hayes, Moshe Zimmermann: Das Amt und die Vergangenheit. Deutsche Diplomaten im Dritten Reich und in der Bundesrepublik,  Karl Blessing Verlag, München 2010

(12) Jean-Pierre Faye, Carl Schmitt, Jünger, Heidegger : le nazisme des intellectuels in Le Monde, 4 août 2013

(13) En français : Thilo Sarrazin, L'Allemagne disparaît, Editions Toucan, 2013

(14) Akif Pirinçci, Deutschland von Sinnen, Manuscriptum Verlagsbuchhandlung, Waltrop und Leipzig, 2014

(15) http://www.sipri.org/yearbook/2013/04

(16) http://www.geheimerkrieg.de/#entry-5-6820-die-karte-so-navigieren-sie

(17)http://www.sueddeutsche.de/politik/us-militaerflughafen-in-deutschland-ramstein-ist-zentrum-im-us-drohnenkrieg-1.1928810
 
(18)http://www.lemonde.fr/europeennes-2014/article/2014/04/12/angela-merkel-donne-un-satisfecit-a-une-grece-convalescente_4400265_4350146.html / http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/08/deux-memorandums-et-quatre-ans-de-crise-ont-change-le-visage-de-la-grece_4397513_3234.html

(19)http://www.spiegel.de/karriere/berufsleben/studie-rollenverstaendnis-heute-konservativer-als-in-den-neunzigern-a-935522.html

(20) http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/files/gender_pay_gap/140319_gpg_fr.pdf

(21) Cf. Etienne Balibar, Un nouvel élan, mais pour quelle Europe  ?, Le Monde Diplomatique, mars 2014

Hambourg, juin 2014

 

 

Texte paru dans Frog numéro 9

 

WELTANSCHAUUNGSFRAGEN
L'art allemand contemporain : 
une tentative.

A Henry Morgenthau

 

« Qu'on ne cherche pas cette exactitude géographique qui n'est jamais qu'un leurre : le Guatemala, par exemple, n'existe pas. Je le sais, j'y ai vécu. »

Georges Arnaud
Le salaire de la peur, 1950.

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BILD DIR DEINE WELTANSCHAUUNG
www.bild.de

La question de l’exposition SOIXANTE ANS. SOIXANTE ŒUVRES. Art de la République fédérale d’Allemagne, Martin-Gropius-Bau, Berlin, printemps 2009

 

L’art contemporain commence à la fin de la seconde guerre mondiale.
En France en 1945, en Allemagne en 1949.

L’art contemporain commence avec la fin du troisième Reich et avec la médiatisation de l’existence (et non la découverte) hors des frontières allemandes de l’holocauste.
Parce que c’est un tel Bruch, un avant et un après, l’indicible, l’innommable, l’irreprésentable, c’est forcement lié à l’image, d’ailleurs il n’y aura plus d’image possible, on ne peut montrer le monstrueux.
La rupture entre art moderne et art contemporain, dans l’art institutionnel occidental, se passe ici.
L’art contemporain commence avec la responsabilité allemande.

La conscience du monde a été ébranlée par les allemands.
Hors de sa considération commerciale, comment l’art allemand peut-il survivre à cette conscience-là ?
C’est une question terrible, à laquelle vient se superposer ensuite l’image de la première édition de la documenta à Kassel, manifestation artistique ayant fait partie du Reeducation Programm des alliés.
L’art allemand contemporain, né dans l’horreur, élevé avec la démocratie américaine.

Mais c’est oublier que l’Allemagne commence en 1949, et en est presque schizophrène.
Pour les allemands l'Allemagne commence en 1949, date de création de la BRD (République Fédérale d’Allemagne ou Allemagne de l’ouest) et de la DDR (République Démocratique allemande ou Allemagne de l’est).
Avant, ce n’était pas l’Allemagne, c’était l’Allemagne nazie. Ce qui s’est passé à l’est de la BRD, ce n’était pas vraiment l’Allemagne non plus, c’était l’Allemagne socialiste.

Aujourd’hui, il y a l’exposition intitulée 60 JAHRE. 60 WERKE. Kunst aus der BRD von ’49 bis ’09. SOIXANTE ANS. SOIXANTE ŒUVRES. Art de la République fédérale d’Allemagne au musée Martin-Gropius-Bau de la capitale.


Signification versus description :
L’exposition montre soixante oeuvres de soixantes artistes, réparties par ordre chronologique et historique, précisément par décennies-générations et a pour objectif de montrer à tous les publics ce qu’est l’art allemand contemporain. 1
Elle définit très justement combien l’art institutionnel fonctionne et marche avec le temps, l’histoire, la politique et l’économie.
D’ailleurs, les commissaires ont opté pour une scénographie didactique grâce à un fil conducteur retraçant les évènements majeurs des soixantes années de la République Fédérale d’Allemagne.

Comme toute exposition, elle est une proposition, une question de points de vues travaillée par des hommes ensemble, au service d’une idée. Là particulièrement, une idée est une opinion, comment pourrait-il en être autrement, et l’opinion émanant de cette exposition forme une image, qui reflète le pays aujourd’hui et sa position dans le monde.

Cette image est celle de BILD, son partenaire média et financier.
BILD Zeitung est le quotidien allemand le plus lu en Allemagne. Ce n’est pas un hasard. C’est un organe qui tient son objectif principal, allant de pair avec la Sehnsucht, l’affectation, l’ardeur, das absolute Bedürfnis, le besoin absolu du pays : le rassemblement autour de l’identité germanique et la nécessaire fierté.
Son comité a aidé les organisateurs à concevoir le parcours, à choisir les faits sociaux et politiques marquants de l’histoire allemande.
A l’image de la célèbre page composée lors de l’élection du pape Benedikt XVI. où le journal titrait Wir sind Papst!, nous sommes pape !, l’exposition va faire de l’art allemand un culte.
BILD traite, encadre, recadre les actualités et flatte l’identité allemande perdue et retrouvée.

L’exposition SOIXANTE ANS. SOIXANTE ŒUVRES. Art de la République fédérale d’Allemagne est une exposition politique. Une des expositions les plus politiques qui soit de ces derniers temps.

 

CODES

 

Pour re-construire l’identité et développer les attributs qui vont avec, un rassemblement autour de valeurs et thèmes est primordial.
L’exposition jongle avec les grands codes qui forment l’image de l’Allemagne.
Un non-allemand ne peut pas comprendre, disent beaucoup d’allemands qui ont raison.
Ces leitmotivs fonctionnent souvent en binôme, ce sont des dualités qui tournent autour des deux grands traits édificateurs de la « manière allemande » : le rationnel et la métaphysique.

A l’aspiration métaphysique de déceler ce qui se cache derrière le monde s’interpose la volonté de l’ordonner.

Il est, en réalité, difficile de trouver une société plus rationnelle que celle imaginée par les allemands. Comme il est absolument remarquable que les allemands dans leur très grande majorité, même à Berlin, s’arrêtent aux feux quand il n’y a aucune voiture à l’horizon.

Avant la Besatzung, « l’occupation » par les alliés, le « Dasein » allemand était sans doute plus visible. La culture anglo-américaine a fait loi et la société s’est américanisée, le capitalisme est devenu religion au même titre que le protestantisme.

Kunst ist frei! disaient Martin Kippenberger, Markus et Albert Oehlen, Werner Büttner à leurs amis punks ou de la Neue Deutsche Welle en faisant de grands gestes que leurs élèves Daniel Richter, André Butzer, Kai Althoff reprirent aussi bien.
L’esprit allemand en ce début de siècle est de mixer la culture pop-punk anglo-américaine avec la mélancolie, la mythologie germanique.
L’underground et l’Erlösungswahn, ce désir profond de destruction totale.

A l’est, on ne connaît plus grand monde, car, cela est dit tous les jours dans les médias, pas seulement dans BILD, les allemands ont vécu dans une prison, surveillés par la Stasi.
Cela dit, l’ouest en a retenu quelques uns, à toutes fins utiles.
Certains savent mêler savamment l’est et l’ouest, comme Neo Rauch et l’école de Leipzig. On pourrait même y voir une forme de vengeance contre l’ignorance de l’ouest, notamment en ce qui concerne le savoir-faire, cultivé grâce à l’art réaliste-socialiste.
Le savoir-faire est depuis Dürer une qualité allemande, le Handwerk, l’artisanal, le manuel est de nouveau prisé. Christiane Baumgartner et ses gravures sur bois, la peinture bien peinte et douée de Neo Rauch contraste avec les actes sauvages des jeunes de l’ouest.

Germania. Joseph Beuys et la grandeur de la nature. Le mythe de la forêt et Anselm Kiefer. La forme. Gerhard Richter. Le génie romantique masculin. Le pathos. Le symbolisme. La peur. L’intériorité. La perfection. La mélancolie. L’hygiène. L’expressionnisme. L’ordre. Bernd und Hilla Becher. Le passé.

Il n’y a pas de clichés. Un des artistes les plus démonstratifs et représentatifs de cette affirmation est Jonathan Meese. Et il fait partie de la troisième génération.
Si l’on regarde son travail, si l’on écoute ce qu’il dit, et ce que disent ses galeristes Bruno Brunnet et Nicole Hackert de Contemporary Fine Arts, on se rend compte qu’il n’y a aucun humour dans cette production proprement allemande mais une immense nostalgie.
Il faut voir l’artiste dans ses apparitions clownesques, mimant Adolf Hitler ou Joseph
Goebbels, en 2009, dix ans après son succès foudroyant. Kunst muss ein Tierbaby sein. Il ne
sait pas dire non, ce qui est vrai, comme il serait faux de croire que se moquer de tout est
drôle. Tout ? Les thèmes sont choisis. De la mythologie nordique au troisième Reich en
passant par Joseph Staline. Rien de ce qui peut être politiquement incorrect n’est évoqué. C’est aussi pour cela qu’il ne travaille pas non plus sur les clichés. Rien n’est creusé. Le génie Jonathan Meese est un enfant démiurge à la limite de la folie qui récite le passé et offre un spectacle doucereux à ses compatriotes venus chercher un semblant de bonne conscience et de réconciliation, selon la technique expérimentée et toujours notoire „pour épater le bourgeois“. Il n’est pas le seul à jouer ce rôle sur la scène artistique. On peut citer Christoph Schlingensief, qui lui aussi travaille sur le syndrome de la catharsis.

Comme tous les grands artistes, Jonathan Meese vend avant de faire faire et bâtit un système.
Le sien, mais cela aurait pu être celui d’un autre, c’est l’empire du pathétique expressionniste. Avec Kai Althoff criant Kai Kein Respekt aux Etats-Unis, on retrouve cette contradiction qui n’en est plus une, en 2009. Daniel Richter, ancien punk qui le revendique, utilise l’imagerie de la « contre culture » tout en imitant son ami Peter Doig.
Ils semblent vouloir en finir avec le complexe allemand, avec une société et un peuple qui ont respecté Adolf Hitler.
Pourtant, de rebelles, ils sont serviles. De punks, ils ne savent pas dire non.

Ce sont de vrais politiques, parfois malgré eux.

 

NO GLAMOUR
R-P Style

 

A la croisée d’un matérialisme rationnel et d’un formalisme mécanique, se situait la photographie allemande moderne, dont Albert Renger-Patzsch, en chef de file de la nouvelle objectivité et de la photographie industrielle allemande, définit les termes dans son livre Die Welt ist schön, le monde est beau.
Il est beau, et il est parfait. Précision technique, esthétisme pur de la forme. Objet. Concept.
Mais le style Renger-Patzsch a un contenu. Celui d’une époque. On n’a jamais su pourquoi Albert Renger-Patzsch a arrêté d’enseigner en 1933. Ce n’était pas parce qu’il était opposant au régime national-socialiste mais pour des querelles entre professeurs et parce qu’il voulait développer ses projets librement. Son travail est national-socialiste et il l’était lui-même.
Mais il faisait de belles photographies. Et il a influencé Bernd et Hilla Becher qui en ont entériné le dogme. Et leurs élèves, et l’école de Düsseldorf, Thomas Struth, Andreas Gursky, Candida Höfer...
C’est l’ironie de l’histoire et un amalgame pratique. 
Mélangés à l’art conceptuel américain, les générations de photographes allemands ont par la suite repris les canons de Renger-Patzsch. Il détestait les prolétaires, n’en voulait pas sur ses images, car leurs présences pouvaient déranger sa vision formelle artistique fasciste.
On retrouve peu d’humain dans la photographie ou l’art conceptuel allemand.
Andreas Gursky illustre cette problématique et le dualisme allemand peut-être encore mieux que Candida Höfer : dans le trop apparait le fantasme d’annihilation.

Avec l’influence de l’art conceptuel vient le « Selbstreferentiell », dont les troisièmes générations d’artistes institutionnels allemands sont éprises. Cette tendance s’accompagne de confusion théorique, sans laquelle notre société, et pas uniquement artistique, ne pourrait survivre.
Toujours autour du rationnel et de l’irrationnel, viennent se greffer d’autres thématiques contemporaines :
Jamais de message, haine du politique ou sa banalisation,
Alles liegt offen, on peut dire et voir ce qu'on veut, diverses lectures possibles, on peut dire une chose et son contraire, c’est le règne des arrangements.
Il n’y a d’ailleurs pas de sens caché, mais une fragmentation des objets qui ne sont même plus des sujets. On est dans la représentation médiatique et sa répétition à l’infini, une sorte de miroir aux alouettes où chaque morceau serait une référence, une citation.
A part le passé ou les agencements, il n’y a guère d’issue possible.
Ceci mène souvent à l’apologie de la passivité et à la complaisance envers un système existant.

Le rêve est pourtant permis, on le voit à travers les images de Wolfgang Tillmans qui exploite l’anecdote à la façon d’un magazine de mode. On se plaît à s’imaginer aussi nu et maigre que l’androgyne romantique grimpant à l’arbre de la forêt teutonne.

Cosima von Bonin est une des premières à avoir investi ce champ avec succès. Elle brouille les pistes en recyclant l’underground pop rock, invite ses amis musiciens à déclamer sur elle, adopte l’attitude cool et réalise des installations à base de tissus, étendard qu’elle met souvent au mur comme un fier quilt et se sert de la référence féministe, en 2007, maquillant son désengagement d’un « ça a l’air subversif ».  
Deux de ses élèves, comme Ulla von Brandenburg, pratiquent aussi un « art typiquement allemand ».
Son obsession du 19ème  et du début du 20ème siècles, dans le choix formel des techniques qu’elle utilise et dans ses propos, vient renforcer l’idée de son attirance pour un ésotérisme de provinciale qui se rêve en princesse russe sous le tsar.
Egalement, son art consiste à s’être arrogé la noblesse. En s’ajoutant la particule, elle s’invente un nom d’artiste dandy 19ème, ce qui est finalement un acte politique. Collant parfaitement à l’époque, elle déploie un travail et un contenu conservateurs, voir rétrogrades, aspirant au passé, à la nature et à tous ses mystères.

Ulla von Brandenburg a une opinion, un point de vue, ce qui n’est pas le cas d’Annette Kelm, autre jeune artiste symptomatique qui pratique la photographie et multiplie les ouvertures, ou les fermetures. Les références, fragmentations associatives, ou non, ne suffisent plus à masquer le manque et le vide. La surenchère d’images, la décoration et l’ornementation au service d’un concept dont même l’artiste a perdu le fil. Ce qui le rend d’autant plus malléable. Ou bien…

L’art allemand, alors, est un produit sans conscience, sauf celle qu’on lui a apprise. Ce qui prédomine, en 2009, est une esthétique comme un drapeau gris. Un drapeau qui pourtant, dit beaucoup. Ce morceau de tissu, cette image lisse, parfaite proposent une façon de voir la vie. Un ordre du monde, eine Weltordnung, eine Weltanschauung.

 

PROPAGANDE ET MANIPULATION

 

La troisième génération, portée par le système institutionnel et reconnu par lui, montre le plus souvent une production sans volonté.
Sans volonté d’exprimer hors des considérations passéistes, dont le système référentiel fait partie, ou se cachant derrière un esthétisme pur.
Or, il semblerait que notre monde est riche, riche de réflexions à tenter, et je pense que l’art n’est pas une surface.

Comment cela se fait-il, qu’aucun des artistes de la rubrique années 2000 de l’exposition SOIXANTE ANS. SOIXANTE ŒUVRES. Art de la République fédérale d’Allemagne ne s’intéresse à la problématique est-ouest ?
Tous parlent beaucoup du traumatisme de la seconde guerre mondiale ou des affres de la société post-moderne, mais rarement est interrogée l’Allemagne au présent.
Pourtant chacun sait en Allemagne combien un allemand de l’est est un étranger pour un allemand de l’ouest, combien tout tourne autour de l’ouest, à l’exception de la figure emblèmatique et subterfuge de la chancelière Angela Merkel.
Accompagné d’un anticommunisme primaire dont même un français de droite aurait honte, le pouvoir institutionnel allemand utilise tous les instruments à sa portée, dont l’art, afin de banaliser les faits historiques en les nivelant. L’amalgame, l’oubli et le déni reviennent à la mode, seule compte la liberté et son cheval de bataille, la pensée unique.
On ne se souvient plus que l’Armée Rouge a libéré Auschwitz, on regarde à la télévision une émission sur Arminius.
Mais cela n’intéresse personne.

À part Siegfried Gohr qui signe l’entrée en matière politique de l’exposition du Martin-Gropius-Bau à propos du débat est-ouest.
Pour lui l’art est l’excentrique, la liberté, l’autonomie des artistes de l’ouest.
En anéantissant l’art de la DDR et ses artistes, „l’art de la DDR appartient à un musée historique et non à un musée d’art“, en parlant de Nebenkriegsschauplatz, il nous prouve combien l’art peut être instrumentalisé. Comme si les sculptures d’Arno Breker n’était pas de l’art, comme si chaque mouvement qui balaie l’autre, au gré d’un système politique qui dénie le précédent, n’était pas le produit de son époque. Comme si chaque artiste pris individuellement, un peu à la manière de la Suisse, était neutre ou objectif.

En 2009, vingt ans après, l’Allemagne est un pays divisé, de part sa propre histoire, de part le contexte mondial économique, et cette exposition retraçant soixante ans d’art est un outil de propagande.

Entre 1815 et 1848 l’Allemagne connut la période dite Biedermeier. Elle désigne également un art et une culture bourgeois et conservateurs. En 2009, les artistes allemands sont clairement concentrés sur des contenus et surfaces de replis. Repli vers soi avec des relents ésotériques, romantisme, mélancolie, ou/et son double, l’emphase spectaculaire. Le design et la mode, également, font partie du rêve.

C’est parce qu’ils n’ont rien à dire et le montrent, que les artistes institutionnels de la troisième génération sont choisis, et qu’ils sont protégés par et sur le marché au pouvoir.
Autrefois artistes à l’église, chez les Médicis, aujourd’hui dans les Familles, dans certains espaces de la maison mère de Bayerische Motoren Werke AG.
Les artistes allemands, on les retrouve aussi à Wolfsburg, au musée de VolksWagen, cette ville modèle « artificielle » créée par les nazis en 1938 comme projet national-socialiste.

L’aveuglement aussi est un choix politique. C’est une question de vision du monde.

Cette façon de voir le monde et de le raconter a un ordre. Sous ses allures chaotiques elle perpétue une logique de conservation, qui exclue les débordements et désirs intellectuels hors ceux tolérés, comme la dépression pornographique masculine à la Jonathan Meese ou la mélancolie rigide féminine à la Cosima von Bonin.
Les hommes boivent pour ne plus avoir peur et les femmes aussi avant de faire l’amour, si c’est encore le cas.

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Weltanschauungsfragen : questions de vision du monde
Bild dir deine Weltanschauung : jeu de mots avec le slogan publicitaire du journal BILD qui est « BILD dir deine Meinung! », fais-toi ton opinion !
Bruch : cassure
Bild : image
Dasein : l’être-là
Kunst ist frei : l’art est libre
Kunst muss ein Tierbaby sein : l’art doit être un bébé animal
Neue Deutsche Welle : New wave allemande
Kein Respekt : pas de respect
Alles liegt offen : tout est ouvert
Nebenkriegsschauplatz : „théâtre de la guerre“

Sur Albert Renger-Patzsch :
Albert Renger-Patzsch : der Photograph, Carl Georg Heise, Ed. Riemerschmidt, Berlin, 1942

 

1 Les essais français du même genre tel que La Force de l’Art, parlant de la création contemporaine en France et de ses artistes, dans la diversité de leurs origines et de leur choix esthétiques, dixit la communication, sont incomparables. En Allemagne il y a moins d’exceptions qui confirment la règle (comme en France par exemple), il y a beaucoup de règles, donc les allemands sont vraiment allemands et font de l’art dans la tradition germanique.

 

Bochum, reste actuel

 

 

 

Nature et hurlements



Entre minuit et une heure, au bout de Bachzimmern, mais déjà dans la forêt, cent pas poursuivis, pas encore mille, déjà complètement sombre, pour ne pas dire noire, pas tout à fait la Forêt Noire, mais certainement tout près, une autre forêt, avec des pins, des épicéas, monts et sentiers, avec des cailloux, de la mousse, mousse sur les branches, mousse sur les pierres, avec des troncs d’arbres mourants et secs jonchant le sol, la terre est humide, parfois, pas toujours, pourtant la forêt allemande, mouillée, la nature allemande, et toujours prête, doux trou, trou perdu du monde, originelle et immortelle nature, ancestrale et infinie, comme les étincelantes et éblouissantes traces du soleil, jouant à travers les cimes, du soleil absent, et les marques, le long du chemin, étaient invisibles, la nuit était obscure comme les ténèbres, il était exactement minuit vingt, le nombre de la bête, on portait des lanternes, bricolées maison, une bouteille avec une bougie à l’intérieur, on parlait beaucoup, la nuit était tellement sombre, parce que nous étions des humains dans la forêt allemande, et nous savions, nous avions entendu, tu l’avais compris, je l’avais admis, nous ne voulions le dire, ça venait des profondeurs, les abysses étaient proches, et si irrégulières, peut-être étais-tu le premier qui l’a exprimé, peut-être cela devait être, car tu avais lu dans mes yeux, ce bruit, là, à côté de nous, une plainte, qui criait, qu’est-ce que c’était, c’est quoi ce bruit as-tu demandé, c’était quoi, ça, ai-je répondu, et cet écho par-dessus, qui n’avait rien à voir avec notre angoisse, parce qu’à ce moment précis nous le savions, un son, de plus en plus fort, par vagues successives, nous écoutions, nous t’écoutions, ton gémissement résonnant, ce ton animal, qui semblait métallique, tu le voulais, c’est ce que tu souhaitais par-dessus tout, au moins ça on l’avait compris, oui, tu le voulais, qu’on te prenne au sérieux, bien sûr tu étais réel, tu étais vraiment là tout près de nous, tu n’as pas de raison d’avoir peur, nous étions effrayés, j’ai dit, viens on se casse, on rebrousse chemin, on se regardait dans les yeux, puis après une courte pause tu as dit, non, on est fort, je pensais, c’est vrai, on est des humains, j’ai pris ta main, tu étais fort, forte j’étais également, devant et tout droit nous avons continué notre route, et toi, animal métallique, tu as senti notre force, et ta voix est soudain devenue plus basse, l’écho s’est tu lentement, comme si tu voulais partir, juste une fois je me suis retournée, mais je ne t’ai pas vu, j’avais encore peur, nous marchions, est-ce que tu as eu peur de nous, étais-tu en colère, étais-tu l’éternité, étais-tu surpuissant, étais-tu bon, as-tu eu pitié de nous, as-tu pleuré, est-ce que tu nous as aimé, avec tes sens offensifs, et tu nous as laissé en vie, car tu étais touché par nous, au point d’être troublé, par notre effroi, par notre frayeur humaine, étais-tu humain, ou bien étais-tu faible, étais-tu plus faible que nous, au fond, n’étais-tu pas simplement un loup, un loup métallique absolument normal, ou bien tu nous as senti, et su extrêmement vite à quoi ta propre mort ressemblerait, comment on te tabasserait, te déchirerait en coupures de chair, par nous, avec le verre des bouteilles de nos lanternes, et égal, si après on a du sang sur les mains.

2009





PSYCHOGEOGRAPHIE



Michèle me disant s’exclamant le découvrant t’es une chaude toi ! Oui à fond j’ai du dire en lui caressant les seins c’est pas mal du tout d’observer les candidats dans les concours de la fonction publique, Guy toi tu avais passé Normale Supérieure mais tu ne l’as réussi, tu étais trop intelligent et trop critique Guy, une fille va aux WC à grands pas en rentrant ses épaules elle est bizarre elle doit être stressée surtout elle se dépêche moi je ne me dépêchais pas je prenais le temps de fondre mon regard dans celui de Michèle elle avait plutôt de jolis yeux et une peau douce Guy tu avais dit à ton ami elle a un corps superbe alors vraiment ça donne envie j’ai très envie d’elle je le lui dis ça l’excite je l’embrasse à pleine bouche vite mais en même temps très doucement elle est un peu gênée en fait car on est dans le couloir entre le salon et une chambre en plein après-midi et Guy est là à côté dans son salon en train de discuter avec deux amis et Guy c’est son petit ami et moi elle découvre que je suis une chaude que je ne pense qu’au sexe et à la sensualité elle voit bien que je l’embrasse et que je lui caresse les seins sur son chemisier elle sent bien aussi que j’ouvre son col profondément pour passer ma main sur sa peau nue et que franchement j’ai l’air d’aimer ça et de ne pas me presser donc elle vient d’avoir un peu peur de moi avec Guy à côté, et s’il nous découvrait, au détour du couloir, la porte n’est même pas fermée, on est là à quelques mètres de lui de toi en train de s’exciter j’ai déjà envie de la pousser dans la chambre, en plus j’avais remarqué que les volets étaient fermés que la pièce était plongée dans le noir ça ça me plaisait je me disais je vais la jeter sur le lit une place du petit frère de Guy, dans la chambre bien sombre et ça sera encore plus excitant je serais sur elle à ramper en lui embrassant son corps superbe sa peau jeune et douce, ses seins souples et fermes que je venais de découvrir de ma main, elle avait vraiment de beaux seins ronds souples et fermes tu l’avais bien choisi Michèle Guy. Mais je la sentais un peu raide de plus je venais juste de lui dire beaucoup de mal de toi Guy j’étais en colère peut-être car tu traitais mal les filles avec qui tu sortais à cette époque tu n’en avais rien à foutre d’elles Michèle m’avait raconté que tu ne voulais pas mettre de préservatifs et elle se sentait obligée d’accepter et en plus tu lui disais alors qu’elle ne prenait pas la pilule, c’est pas grave tant mieux si tu tombes enceinte il y aura plein de petits Guy partout, j’étais très étonnée et aussi de la formulation, c’est une dans chaque port et je sème je sème et tant mieux s’il y a de la graine, tu étais un peu un salaud Guy et moi j’étais aussi une vraie salope ta meuf j’étais en train de l’emballer après lui avoir sorti mes théories féministes à deux balles, j’étais en train de l’attirer dans la chambre sur le lit de ton frère pour me faire une joie de la ken. Elle était à moi maintenant. Je t’avais discrédité je faisais le front des femmes contre un petit con comme toi qui en avait rien à battre de nous, mais en fait ce que je voulais ai-je besoin de l’écrire c’était coucher avec toi à travers elle. C’est toi que je plotais en salivant c’est toi que j’entraînais maintenant c’est toi qui me trouvais belle et qui étais attiré c’est toi qui me laissais faire avec un sentiment d’étonnement et d’excitation et d’ailleurs c’est toi aussi qui voulais continuer, après. J’ai arrêté. Au moment de passer dans la chambre, un ami à toi et surtout à Michèle est venu nous voir et nous a découvertes. Il nous a surprises en train de nous embrasser. Je l’ai vu et me suis tournée vers lui je l’ai regardé dans les yeux et laissant ma main sur les seins de Michèle, j’ai collé mon visage sur le sien de toute manière il avait envie il m’a embrassé je pensais la même chose que Michèle il fallait mieux l’avoir avec nous alors on est allés tous les trois dans la chambre.
Le garçon dont je ne me rappelle absolument pas le prénom était tellement excité qu’il s’est allongé presque direct sur le lit, après qu’on eut poussé la porte. Il voulait certainement nous montrer ses désirs. J’allais un peu vers lui pour faire monter la pression Michèle je crois était très surprise par mes directives j’étais sur lui et je remarquais combien il bandait il bandait de la situation comme ça chez le petit ami de la fille que je séduisais, alors que celui-là même était censé être un ami à moi, juste à côté, comme si de rien n’était et qu’on parlait entre deux filles tranquilles dans un coin de l’appartement, et lui il arrive et je le prends aussi. Michèle elle ne voulait pas l’embrasser, c’était un ami à elle, moi je m’en foutais, l’homme de toute façon est un ami.

Michèle fut rapidement gênée, nous étions tous deux trop excités, lui par moi et moi par elle. C’est dommage. J’aurais aimé qu’il nous regarde en train de nous lécher partout, Michèle. Et lui il allait beaucoup trop vite tellement il voulait soit me prendre vite fait bien fait, soit qu’on se frotte tout habillés, soit que je le suce, mes petits doigts fins refermés sur la base de son bâton de berger tout en lui lapant son gland. Mais d’évidence c’était toi que je voulais pénétrer Guy, et Michèle n’était déjà plus dedans.

2006





ZEN



Je vais te cartonner
Je vais te cartonner dans l'immensité du temps
Tu verras ta propre mort annoncée dans la rubrique nécrologique de tes revues préférées,
et spécialisées
Entre chaque ligne de tes livres ouverts comme à chaque page de toi-même que tu refermes automatiquement,
et inversement
Tu verras ton squelette se refléter sur l’eau
Oublie tes références
Dieu est vivant
Accroche-toi bien à ta boîte aux lettres, retiens bien le son métallique de ta tête cognée
D'abord,
sur le coin de celle-ci où ton nom est inscrit
Ensuite,
le bruit que fait la céramique
lorsque ton crâne rasé
s'ouvrira par trois fois en son centre
Et de cette littérature s'échappera ton sang
vidé de tous tes savoirs
Mais aussi,
et c'est le grand malheur, de tes sentiments

dans l'entrée de ta maison
ma bombe

Tu n'es pas une puissance supérieure
et je vais te cartonner
Aucune de tes armes ne viendra troubler l'évidence
J'assume tout
et en premier lieu la force de mon terrorisme

communication
du contenu pur et véridique
de ma relation à l'autre

ma communication va t'exploser

Ton casque ne te protégera pas de ma bombe
car il est déjà tombé

et le peuple l’a vu

Ce n'est pas de toi couvert de chiures d'oiseaux dont tu vas rêver chaque nuit,
C'est pas non plus poignardé en place publique que tu finiras,
avec juste le regret de n'avoir pas chargé Nantin un peu plus tôt pour sauver ta peau

c'est ta volonté :
je suis ton ennemie

Tant pis pour toi D.T. Suzuki, l'amour est un cri de guerre.

Tu seras arrosé de saké et d'Asahi
Ton corps baigné de ce don et
J'y mettrai le feu
Telle sera mon offrande aux premiers sages, Suzuki
Je te brûlerai vif dans une cave place de la Bastille où les chiens sortent le samedi soir comme jadis les révolutionnaires érigeant l'universel,
Aujourd'hui la citoyenneté ou l'antisocial,

Se tromper de combat
C'est encore la meilleure façon

D'avancer.
2007